PSYCHIATRIE
ET COLONIALISME INTELLECTUEL : une psychanalyste internée à Téhéran
Mais parle : de son sort qui t'a
rendu l'arbitre ?
Pourquoi l'assassiner ? Qu'a-t-il
fait ? A quel titre ?
Qui te l'a dit ?
Racine, Andromaque, Acte
V, scène 3
S’il y
a une attitude quasi universelle qui perdure, c’est de s’en prendre aux
professionnels de la santé mentale, en particulier aux psychiatres, tantôt
coupable de trop enfermer, tantôt responsable de laisser partir dans la nature
un fou dangereux. L’envie vient de demander à nos détracteurs et aux donneurs
de leçons de se mettre d’accord pour que nous puisions organiser notre défense.
Flickiatre ou laxiste ? A cet égard ce que vient de subir le Professeur
Mohammad GHADIRI, de Téhéran, est un cas d’école. D’autant que, dans ce qui
s’écrit à partir de Paris, s’ajoute à la suspicion envers le psychiatre, une
forte odeur nauséabonde de colonialisme et de racisme intellectuel (http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2013/02/mitra-version-beta.pdf).
Ce
confrère dirige le « Tehran
University of Medical Science », un
service de psychiatrie universitaire de pointe, à quelques kilomètres du centre
de Téhéran. Un jour, à la veille de Noël 2012, il a le malheur de recevoir dans
son service, par placement judiciaire, une consœur, le Docteur Mitra KADIVAR,
psychanalyste lacanienne francophone cultivée, arrêtée pour « troubles à
l’ordre public, sur plainte du voisinage ». Je rappelle que nous sommes à
Téhéran, capitale de l’empire théocratique de la République islamique, ayant à
sa tête, le Guide suprême, prêtre-empereur, l’Ayatollah (« Signe de Dieu
sur Terre ») Khaménéi et M. Ahmadinéjad, président « réélu » en
2009.
Cinq
à six semaines plus tard, fleurit à Paris, une pétition planétaire (http://mitra2013.com/) initiée par MM. Bernard
Henri Lévy et Jacques Alain Miller, pour dénoncer « l’internement abusif
et arbitraire » de Mme Kadivar, par le Pr Ghadiri, et réclamer sa
« libération ». En peu de jours cette pétition bien organisée
recueille plus de 4600 signatures sur trois Continents. D’éminentes
personnalités intellectuelles, artistiques et politiques de tous bords ont
signé. On pourrait se réjouir d’y voir, entre autre, MM. Mélanchon et Copé,
pour une fois d’accord. Mais pour ou contre quoi, exactement ?
Qui
est en cause ? L’abominable régime iranien, champion mondial des
exécutions capitales (entre autres, de malades mentaux « politique »
ou « mystique »), sa justice qui, pour une fois, confie une personne
en difficulté à la psychiatrie et non à la prison, ou l’équipe médicale qui
reçoit, sur ordonnance judiciaire, une patiente.
On
aimerait bien connaître le degré de connaissance en matière de psychiatrie et
d’iranologie des initiateurs de cette pétition. La République islamique est un
pays où le nombre pléthorique des centres de pouvoir confine à l’anarchie, sauf
quand il s’agit de réprimer avec la plus grande violence toute parole libre ou
différente. Un pays où un jeune médecin de prison est trouvé mort, en juin
2009, d’une « crise cardiaque » quelques heures après avoir dénoncé
les tortures et les viols de la prison de Kahrizak. Un pays où, sans état
d’âme, l’Etat passe au bulldozer les cimetières des « hérétiques ». Dans
ce pays où règnent en maîtres Goebbels, Torquemada et Savonarole, des
intellectuels français lancent une campagne internationale tonitruante
contre un psychiatre.
Je
rêve ou quoi, comme disent les jeunes lycéens ?
Rappelons
que, dans ce pays où la médecine est à plusieurs vitesses, la patiente est
installée en chambre VIP et qu’elle a libre accès au téléphone et à l’Internet.
Elle appelle au secours et vilipende ses confrères et soignants. Les
hospitaliers apprécieront. Les parisiens, sans vergogne et avec un mépris bien
signifié, en concluent qu’elle est au Goulag brejnévien, version ayatollah.
D’autant que le Pr Ghadiri refuse de communiquer sur le secret médical et pire
encore, d’obtempérer aux ordres de M. Jacques Alain Miller qui a posé son
diagnostic de parfaite santé mentale, par Internet et téléphone. On pourrait en
rire, si cela se passait entre Saint-Germain-des-Près et Sainte-Anne, en mai
68. Or il s’agit de l’Iran. Il y a peu, en France, d’éminents détenteurs de
pouvoir se permettaient de jeter en pâture au peuple, les psychiatres
« responsables » du crime d’un malade mental. Imagine-t-on un instant
ce que doivent subir nos consœurs et nos confrères dans la Perse enturbannée,
où tous les jours que Dieu fait, un théologien de renom prend la parole pour
dire tout le mal qu’il pense des sciences humaines, spécialement de la psychologie
et de la psychanalyse ? Je puis témoigner que la majorité des patients qui
arrivent de Téhéran ou de la province, quel que soit leur niveau social ou
intellectuel, ne cessent de dire du bien de leurs soignants
« ravan-kav » (« chercheur en âme », psychanalyste), terme
qui dans le langage populaire désigne les thérapeutes en psychiatrie. Il y a
autre chose : l’embargo de l’ONU. Les médicaments ne sont pas concernés,
mais c’est un excellent prétexte pour la mafia enturbannée d’organiser et la
pénurie et la vente des médicaments trafiqués, en particulier les psychotropes.
Encore
un petit détour : la censure. Nos collègues ont le plus grand mal à parler
en public ou à publier. Comme toujours, l’ignorance, la bêtise et la volonté de
réprimer font qu’il faut user de mille ruses pour organiser un congrès de
sciences humaines, ou de psychiatrie, utiliser un langage ésotérique pour
dérouter les censeurs présents dans la salle. Pour publier, encore à des
tirages homéopathiques, le meilleur moyen c’est le dessous-de-table. Dieu
bénisse la corruption qui permet de publier, mais en restant dans des limites
ésotériques. Tout manquement est réglé au niveau du tiroir-caisse, langage
universel que tout le monde comprend. C’est ainsi que des centaines de journaux
et d’éditeurs qui ont dérogé à l’autocensure ont sombré, corps et biens.
Depuis
des siècles, les penseurs issus des nations iraniennes sont à l’image de leur patrie :
des oasis verdoyants d’intelligence, de culture, de connaissance et d’humanité
dans un immense plateau désertique de sable, de cailloux et de montagnes
arides. Les génies que la culture persane a produits, de l’Asie centrale à la Méditerranée, sont parmi les plus grands de l’histoire de
l’humanité. Depuis le milieu du XIX° siècle, enfin les femmes sont entrées dans
l’arène. Et au XX° siècle les cinéastes sont venus ajouter leurs pierres à celles
des poètes et des penseurs. Mais ces peuples sont meurtris, malmenés par deux
castes étroitement associés : les théologiens et les hommes en armes.
Voilà qu’à partir de Paris, une pétition, avec son mépris hautain, vient
ajouter son venin à ceux de l’histoire. C’est ainsi qu’est proposé que Mitra
Kadivar vienne en France pour être, enfin, bien « traitée »,
sous-entendu que la science et la déontologie des psychiatres de Téhéran ne
vaut pas celles des psychanalystes de l’Ecole de la Cause freudienne. Sur quels
critères notre profession
fragile a-t-elle été dénigrée et jetée en pâture aux autorités d’un état
dictatorial ?
Ces
agressions intellectuelles sont ressenties comme une humiliation, pire une
trahison. Vers qui peuvent se tourner les iraniens éclairés, si ce ne n’est
vers leurs congénères dans le monde entier, spécialement ceux de l’Europe et de
l’Amérique du Nord, dont ils connaissent les langues. Mais la clairvoyance est
assez fragile et peut sombrer comme ont sombré des légions d’intellectuels en Europe,
pendant la nuit stalino-hitlérienne. Est-ce cela que recherchent les
initiateurs de la pétition qui semblent ignorer la situation explosive du
Proche-Orient, des confins de la Chine à la Méditerranée ? Croit-on aider
les iraniens universalistes en s’attaquant à leurs médecins bien-aimés ? En
quoi cela avance la cause de la paix que de réveiller avec fracas les démons du
nationalisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie ?
L’histoire
continue, à Paris. C’est à n’y rien comprendre. Après avoir transformé une
hospitalisation en une dangereuse affaire politique, les pétitionnaires
transforment un débat d’idée en une affaire judiciaire. Mme Kadivar a été
« libérée » … et Jacques Alain Miller fait un procès à Elisabeth
Roudinesco, universitaire reconnue, présidente de la Société Internationale
d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse, Henri Roudier, le
secrétaire et Philippe Grauer, administrateur de cette société. Ils sont
traînés en justice pour avoir publié les résultats de nos multiples
investigations à Téhéran, nous professionnels de la santé mentale, d’origine
iranienne. En effet nous avons déclaré sans ambages, qu’on a transformé une
difficulté personnelle avérée, notre enquête le confirme, en une affaire de
politique internationale (Dieu merci, M. Laurent Fabius a évité l’incident
diplomatique et le ridicule en ne tombant pas dans le piège) et qu’on a traîné
au banc de l’infamie un psychiatre et son équipe, qui n’ont en rien trahi le
Serment d’Hippocrate ni l’éthique des grands penseurs de la Perse, depuis
l’Antiquité.
Mais
il y a pire. Le 11 février, dans un écrit de mise en garde, je disais (http://www.cifpr.fr/+Affaire-Mitra-Kadivar-il-ne+): « En Iran, les tenants de la théorie du
complot universel vont s’en donner à cœur joie après la grosse bourde
criminelle des initiateurs de cette pétition en « faveur » de
Mitra KADIVAR. La voilà promu au rang « d’agent de l’étranger »
porteuses d’une « science du sexe » qui n’est que perversion
de l’Occident. Qui portera la responsabilité de ce que les psys iraniens vont
subir. Déjà mes confrères iraniens fulminent contre ceux qui profitent d’un
malheur pour pointer les projecteurs sur une profession qui ne demande qu’à
travailler dans la discrétion et le silence, au profit des patients ».
C’est ce que confirme, sans détour, Madame Gohar Homayounpour, psychanalyste à
Téhéran, auteure de Doing psychoanalysis in Tehran, dans sa prise de position ferme, à un
congrès de psychanalystes à Londres, en affirmant que cette pétition a fait un
grand tort aux psychanalystes iraniens : http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/140413/i-am-angry-mr-jacques-alain-miller-qui-berne-tout-le-monde.
Dans
cette histoire il y a au moins deux victimes notre consœur Mitra Kadivar et
notre confrère, Mohammad Ghadiri. Où en est cette femme de valeur, Madame
Kadivar, sur le plan psychique et/ou politique, pour se réfugier clairement
derrière l’autorité du ministère de l’Intelligence, le mal nommé, en réalité ministère
de la sécurité nationale et du renseignement, (http://laregledujeu.org/miller/2013/04/04/l’absolu-fait-de-la-resistance/,
§ 4) et se démarquer de ceux qui ont eu maille à partir avec les autorités iraniennes ?
Je me
permets d’inviter les professionnels de la santé, en particulier les
psychiatres, à trouver le moyen de nouer des liens avec le Professeur Ghadiri (ghadiri_mohamad@yahoo.com) et son équipe à travers
nos institutions, pour encourager la paix entre les nations et aider ceux qui
gardent la tête haute dans la tourmente. Et éventuellement voir avec lui si,
dans la plus grande discrétion, nous pouvons être utile à Mitra Kadivar.
J’espère que l’Association Française de Psychiatrie voudra bien initier une
démarche collective.
http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/060413/mitra-kadivar-dement-jacques-alain-miller
Docteur Foad SABERAN
Né à Téhéran, psychiatre à Paris
Docteur
Foad SABERAN